Guillaume Bottazzi "L'art renoue avec le beau"

 Le philosophe Edmond Burke écrivait en 1757 que la beauté « est le plus souvent une qualité des corps qui agit mécaniquement sur l’esprit humain par l’intervention des sens ». Burke distinguait donc l’art du beau ; mais le beau et l’art ont été brutalement séparés par Marcel Duchamp, avec son urinoir (cf. Fontaine). Ainsi, tous les travaux artistiques, même intéressants, ne sont pas 
nécessairement liés à l’expérience du beau.




Le neurobiologiste Semir Zeki explique, lors de sa conférence « La neurobiologie de la beauté », qu’il n’y a pas de caractéristiques particulières pour définir le beau ; c’est pourquoi, lors de ses expériences sur le beau, il a ciblé des individus représentant différentes ethnies, différentes cultures et différentes éducations. Semir Zeki a exclu les initiés, comme les peintres ou musiciens, pour éviter que la connaissance du sujet n’influe sur la réponse. Son idée était de montrer des peintures et de faire écouter de la musique afin que chacun évalue le beau. Ensuite, il scannait les sujets et proposait à nouveau les mêmes œuvres, en surveillant cette fois l’activité du cerveau. Le flux du sang détecté par le scanner permet de voir l’activité et les zones sollicitées. Il a mené ces expériences à partir d’un tableau que la plupart des gens apprécient (mais pas tous) de Jean-Auguste-Dominique Ingres – La Grande Odalisque –, et d’une autre peinture que beaucoup de personnes (mais pas toutes) considèrent comme « moche », peinte par le fameux Lucian Freud – Un portraitiste sur le divan. Cette dernière œuvre ne provoque pas d’expérience de la beauté pour la plupart des sujets. En musique, une majorité a trouvé « belle » la Symphonie no 5 de Mahler, et beaucoup de sujets ont qualifié de « laide » une œuvre de Ligeti.

En observant les stimulations de l’activité du cerveau,et surtout les aires actives quand les sujets vivent l’expérience du beau par le regard, on remarque qu’en addition des zones visuelles, le cortex orbitofrontal médian – la zone émotionnelle – est également actif.

Quant aux expériences esthétiques musicales, la zone orbitofrontale est très active. Il y a aussi une ère isolée qui se mobilise, et qui est toujours corollaire à l’expérience du beau. Il y a des caractéristiques qui définissent le beau, mais la réponse provient du cerveau et non pas des œuvres d’art. En observant la zone du beau visuel active, il y a une forte activité dans la relation à l’œuvre : l’intensité de l’expérience est grande pour l’observateur. Jean-Pierre Changeux, dans son livre intitulé Du vrai, du beau, du bien, exprime que notre cerveau associe le beau au vrai et au bien. Reconnaître le beau engage ainsi un processus de reconstruction, et l’observateur va renforcer son envie de vivre.

Mais qu’en est-il pour la laideur ? Pour la laideur, l’observateur active des stimuli, mais différemment. L’amygdale est active, le cortex mobilise le moteur qui nous protège contre la laideur. La fonction essentielle de l’amygdale est de « décoder les stimuli qui pourraient être menaçants pour l’organisme ». Joseph Le Doux, directeur du centre pour les neurosciences de la peur et de l’anxiété (Center for the Neuroscience of Fear and Anxiety) à New York, illustre très bien l’action de ce circuit : « Un promeneur marche dans la nature et voit ce qu’il prend pour un serpent. La voie courte active une réponse instantanée de sursaut et de recul de frayeur. » Nous disposons d’un filtre qui sélectionne le laid et le beau, et l’information est envoyée dans des régions différentes.

Semir Zeki affirme que le beau est désir et amour, et qu’il y a un lien miroir avec le beau. Quand les gens regardent une personne ou un objet qu’ils désirent, ils utilisent le même chemin que le beau. Il y a donc une zone commune de l’activité localisée dans le cortex orbitofrontal médian, et ces zones s’activent lorsque vous avez l’expérience du beau ; mais il arrive aussi qu’elles soient actives au moment où une personne regarde des individus qu’elle aime vraiment.

Si, pour l’observateur, le beau renforce son envie de vivre et sollicite une activité plus importante que le laid, cela implique que l’œuvre d’art doit stimuler nos désirs, l’amour et le beau. Dès lors, la portée d’une œuvre ne se mesure pas à partir d’elle-même, mais à partir des effets produits chez l’observateur.