L’art renforce l’acuité cognitive du regardeur regardeur : « Un système conçu pour s’adapter à son environnement »

1. L’homme est un mécanisme intégré
 
Nous avons pensé que le sommeil était un phénomène neurobiologique et que son objectif et sa structure étaient situés dans le cerveau. « Tout le monde a pensé que le sommeil est du cerveau, par le cerveau et pour le cerveau. Nous négligeons le fait que nous ne sommes pas des cerveaux, nous sommes des mécanismes, nous sommes intégrés, tout ce que nous faisons est intégré à tout le reste » explique le neuroscientifique Paul Show de l’Université de Washington à Saint-Louis. Les premières fissures de cette vision, qui est centrée sur le cerveau, ont commencé à apparaitre lorsque la scientifique Suisse Irène Tobler a remarqué que les cafards dormaient de manière inconsciente. Récemment, une nouvelle découverte a complétement changé le récit. Nous avons appris que les créatures les plus simples, les organismes ayant très peu de cerveau, dorment aussi. Une étude a par exemple été menée à partir d’une hydre, l’une des formes les plus simples de la vie animale. À la place du cerveau, l’hydre possède des réseaux nerveux, les systèmes nerveux les plus élémentaires de la nature. En l’année 2021, un groupe de scientifiques japonais a démontré que les hydres dorment. Ces minuscules organismes d’eau douce sont la preuve vivante que le sommeil a évolué avant le cerveau. De plus en plus de scientifiques étudient vraiment les tissus périphériques et se demandent comment le corps peut avoir un impact sur le cerveau, et comment le cerveau peut avoir un impact sur le corps, spécifiquement en ce qui concerne la régulation du sommeil. Dans ses recherches, le neuroscientifique Paul Show émet l’hypothèse selon laquelle il existe des situations que le cerveau ne peut pas régler lui-même ; en association avec les dommages qui ont eu lieu, le sommeil peut réduire l’énergie d’activation pour que les circuits du cerveau commencent à trouver une solution. L’idée est que lorsque nous dormons, nous dépensons moins d’énergie. L’énergie que nous utilisons alors est utilisée d’une manière différente. Nous soutenons des fonctions que nous ne pourrions pas soutenir si nous étions éveillés. La recherche sur les hydres est la première d’un nombre croissant de preuves que le sommeil a d’abord évolué pour réguler le métabolisme et améliorer la réparation, et qu’il n’a pris que plus tard des fonctions liées au cerveau. Le sommeil et le métabolisme sont étroitement liés.
Pour contextualiser avec l’art : si les mécanismes de l’humain se construisent par rapport à ce qui l’entoure, cela implique que la nature intrinsèque d'une chose ou d’un être ne se limite pas à un individu. L’humain est un organisme intégré constitutif de son environnement, de son microbiote et des éléments périphériques. L’artiste révèle non seulement son identité, mais également son rapport aux éléments, qui sont eux-mêmes constitutifs de sa propre construction. Il révèle des énergies qui nous permettent d’être plus en phase avec le monde qui nous entoure. L’artiste permet à l’observateur d’avoir un rapport plus en harmonie avec les choses, de manière globale. Cela induit que le sujet n’est pas l’artiste, mais les effets de l’œuvre sur l’observateur*, qui peuvent faciliter sa capacité d’adaptation à l’environnement. L’œuvre d’art est en lien avec le dedans et le dehors, et l’esprit est indissociable du corps.
* Le physicien Jean-Claude Picard explique que quand nous regardons une œuvre, nous séparons les lignes, la profondeur, la forme, la couleur et le mouvement… Tous ces facteurs sont traités dans des localisations différentes de notre cerveau. Le cerveau va les reconstituer en phases, en synthèse synchronisée. Pour l’audition, il existe la hauteur des sons, le rythme des sons, le timbre. De nombreux facteurs sont analysés dans des zones différentes du cerveau, sont reconstitués, et nous apportent du plaisir ou quelquefois du déplaisir.
 
2. Le cerveau humain est unique parce que notre système est conçu pour s’adapter à son environnement
 
Le cerveau d’Albert Einstein ne pesait qu’1,2 kg et celui du prix Nobel de littérature Anatole France 1,1 kg. C’est petit et ce n’est pas la taille du cerveau qui le rend créatif. La scientifique Suzana Herculano-Houzel a développé une nouvelle technologie pour compter le nombre de nerfs dans le cerveau. Ce qu’elle mesure est le nombre de processeurs, ils sont très nombreux, autour de 100 billions. Récemment, elle a mesuré le nombre de nerfs dans le cerveau d’un éléphant africain parce que le cerveau de l’éléphant est immense, plus grand que celui de l’homme. En effet, l’éléphant a un cerveau trois fois supérieur à celui de l’homme, mais la plupart des réseaux se trouvent à l’arrière du cerveau. Le nombre de nerfs dans le cortex du cerveau humain est plus important et plus large comparé à tous les autres. La différence réside dans le fait que le cerveau de l’homme est très connecté. Cela implique qu’il a la capacité de véhiculer les informations d’une région à l’autre très aisément, ce qui est essentiel pour la créativité. Le neuroscientifique Idan Segev de l’Université hébraïque de Jérusalem donne un exemple* « un verre implique le concept du verre, sa forme qui est associée à la vision, le goût, le toucher ; donc, quand on intègre le concept du verre, nous devons élaborer et mettre en action de nombreux modules ou modalités, qui interfèrent avec des régions différentes situées dans ce contexte à l’arrière du cerveau, au-devant et sur le côté, et ces régions doivent être connectées pour gérer différents types d’informations, pour générer par exemple le langage ». Nous avons 3 à 4 km de connexions qui représentent 100 millions de connexions, localement nous possédons de nombreux circuits. Nous développons notre cerveau plus lentement que les autres animaux. 30 000 réseaux s’activent localement. Le nombre de synapses et de connexions décident de la dynamique de notre système, pas seulement les connexions entre les différentes régions, mais aussi les connexions dans chaque région. Ce système est conçu pour s’adapter à son environnement et cela implique que l’expression artistique ne se limite pas à révéler l’être de l’auteur ou sa vie, mais permet à l’observateur d’être plus en harmonie avec les choses de manière globale.
 
Guillaume Bottazzi 









Yokoyama Taikan, Gunjo Fuji, circa 1917, Shizuoka Prefectural Museum of Art