L’art hérite d’une mission primordiale pour l’humanité, qui consiste à l’inciter à l’amour et à la paix
Pour
mémoire…
Le
beau et l’art ont été brutalement séparés par Marcel Duchamp avec son
urinoir (cf. Fontaine). Ainsi, tous les travaux artistiques, même
intéressants, ne sont pas nécessairement liés à l’expérience du beau.
Nous
disposons d’un filtre qui sélectionne le laid et le beau, et l’information est
envoyée dans des régions différentes du cerveau.
Le
neurobiologiste Semir Zeki affirme que le beau est désir et amour,
et qu’il y a un lien miroir avec le beau. Quand les gens regardent une personne
ou un objet qu’ils désirent, ils utilisent le même chemin que le beau. Il y a
donc une zone commune de l’activité localisée dans le cortex orbitofrontal
médian, et ces zones s’activent lorsque vous avez l’expérience du beau ;
mais il arrive aussi qu’elles soient actives au moment où une personne regarde
des individus qu’elle aime vraiment.
Des digressions contextuelles dans une société en
crise
Aujourd’hui, des déviances et confusions sont à éviter. Des amalgames sont devenus fréquents, et ces raccourcis reflètent le dysfonctionnement de nos sociétés.
– Je note que, parfois, le beau est perçu par certains comme n’étant réservé qu’aux riches, et cela fait de l’art la marque d’un clivage entre les catégories sociales. Des audits auprès d’une population habitant dans des zones ANRU[1] montrent que les catégories sociales défavorisées souhaitent déroger à cette règle, puisqu’elles ne veulent pas être associées à un marqueur social qui les présente comme appartenant à une classe dominée. En grande majorité, les gens qui vivent dans ces zones souhaitent bénéficier des mêmes prestations que les classes plus aisées.
– Certains d’entre nous considèrent que s’il y a 80 % de femmes représentées dans des œuvres d’artistes – et, de surcroît, belles –, c’est la marque d’une réduction du statut de la femme, et qu’elle est ainsi réduite au rôle de femme-objet. Les gens ignorent parfois le fonctionnement de l’humain. Tous les neuroscientifiques s’accordent sur ce sujet, mais je citerais Anjan Chatterjee qui explique, dans sa conférence « How your brain decides what is beautiful », qu’une personne que l’on trouve belle est associée à une personne qui possède des qualités et qui a des valeurs. Par exemple, la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli est une allégorie de la beauté féminine et de la pureté. La reconnaissance du beau nous conduit à voir la personne comme étant plus intelligente, comme ayant plus de valeurs et de bon sens, comme étant plus profonde et plus parfaite…
Elle possédera, pour nous, plus de qualités intrinsèques que les autres.
L’art doit contribuer à rendre le monde meilleur
Les
acteurs du monde de l’art représentent 2 % de la population. Ces acteurs
considèrent parfois que le beau est un embellissement qui dissimule le fond :
il peut être considéré comme superficiel, alors que le mauvais goût, le kitch,
est une revendication qui est restée très présente dans le monde de l’art. La
communauté artistique a prohibé le mot « beau » qui est pourtant resté
dans le dictionnaire et dans les consciences collectives. L’étude Art,
Aesthetics, and the Brain des neuroscientifiques Helmut Leder et Marcos
Nadal mentionne que les gens qui observent des œuvres les associent à leur
référence du beau. Contrairement à ce que pensait Kasimir Malevitch en peignant
son Carré noir sur fond blanc, l’œuvre n’est pas sujet, mais le sujet est
les effets produits chez l’observateur.
Pour
résumer, Semi Zeki explique que le beau active les mêmes zones que l’amour et
le désir, et que notre cerveau les associe. L’art hérite donc d’une mission
primordiale pour l’humanité qui est de l’inciter à l’amour et à la paix.
En
écrivant que « la beauté sauvera le monde », Fiodor
Dostoïevski a fait mouche : les artistes doivent rendre le monde plus beau
pour contribuer à propager l’amour et la joie, mais aussi pour renforcer notre
envie de vivre et notre capacité à survivre aux évènements.
[1] ANRU : Agence nationale pour la rénovation
urbaine, qui a pour objectif général d’accompagner des projets urbains globaux
pour transformer les quartiers défavorisés en profondeur.